Sandra

Sandra Laplace-Claverie est professeur d'Arts Visuels de la Ville de Paris.

Portrait Peintures - nus Peintures - paysages Sanguines - nus Fusains - nus

Dessiner d'après modèle vivant

Montagne imprenable, banquet gargantuesque, monceau de formes les unes sur les autres. Quelques points saillants épaules, coudes, genoux. À celui-ci est accolé celui-là, le troisième surplombant cet enlacement. Non c'est un simple collage, la jambe passe devant la main alors que celle-ci semblait d'abord embrasser le genou. Le pied n'est pas simplement posé, il pivote légèrement vers l'extérieur et étrangement cela semble naturel. Avec la fesse cela fait une percée, triangle vertical. A l'horizontal un deuxième triangle dont le genou n'est pas aussi haut que celui de l'autre. Au-dessus de son vide se tient la tête, penchée. Elle-même point d'une virgule chinoise: le bras part dans le dos. Grande tige courbe elle prend racine derrière la deuxième face achevant cette imbroglio de masses, de sommets, de creux, de percées. Imbrication labyrinthique, tout ceci constitue l'unité d'un corps. Devant ce méli-mélo inextricable, prise d'un vertige au moment même où je tente de ranger cette jungle. Un amas de traits disparates se mettent à tourner, plus de lecture que le noir des traits se détachant du blanc du papier. Tous ces membres s'engluent, immonde tas ficelé façon filet mignon.

Autre tentative tel un savant du XIXe siècle collectionnant et cueillant chaque objet en le rapportant dans de petits casiers convenablement étiquetés, mû par une ambition encyclopédique, chaque trait est méticuleusement imprimé à sa place tout est dit. Un bavardage d'informations encombre la page, rien est expliqué, aucun silence ne nous ménage le temps de la réflexion pour nous rendre cette grille un peu moins habile et un peu plus lisible. La pauvre tête roule sur le bord de la feuille sans attache tandis que les mains trop éloignées du genou le laissent vaquer dans la mollesse, hérissée de mesures. Ce paysage semble pour toujours éloigné, il nous glisse des doigts. Du bord de la page viennent se ficher deux pieux dans le sol. Le filin d'acier tendu entre eux oriente le corps, celui-ci prend place dans la feuille, y dessine clairement son architecture en de majestueux volumes. Il prend une direction semblant suivre l'alignement marqué par les pieds de deux arcades enchevêtrées. Il n'y a plus ni triangle, ni virgule chinoise, mais deux arcs de cercle qui s'élargissent en un vaste éventail, forme ouverte et arrondie comme le cirque d'une montagne. La tête n'est plus cet élément isolé, penché au-dessus du vide. L'orientation du visage est dans l'exact prolongement du premier arc. Brisé, celui-ci reprend sa course à l'épaule, clef de voûte. La clavicule chapeaute l'omoplate qui pivote. De cette articulation à la forme on ne peut plus tridimensionnelle jaillit dans un même plan le prolongement du premier arc. Tout le reste vient s'y articuler avec une étonnante simplicité, rendant plus palpable par leur série de nuances, le mouvement global du corps. L'articulation de ces grandes lignes courbes, série de plan juxtaposés, compose une corolle dans un espace orthogonal bien défini. Progression noueuse, ramassée au sol, rapide, fulgurante, étendue diamétralement.

La page semble immensément vaste parce qu'on a su y tracer une route. Hasardeuse, elle nous raconte le chuchotement de ces arceaux, par endroit ils se collent, se frôlent, penchés l'un sur l'autre ils font un bout de chemin ensemble.


Peindre un paysage

Herses tranquilles en volutes poussent les branches oblongues. La lumière dorée d'un pied gracile a suivi le Petit Poucet. Délaissant les verts tendres aux stridences acidulées. Le feuillage percé s'égoutte à la surface. L'eau s'écoule et d'un trait m'emporte à la cime d'arbres cachée. Flottement, vague, le regard est bercé par le remou des nappes de couleur. Conduit au loin par le clapoti s'amenuisant des verticales. Empêché, il est ramené à la surface. Le blanc comble l'espace, le vide efface le souffle. L'intervalle s'est échappé grignoté par l'absence de ce qui n'est jamais et n'adviendra pas. Apaiser, à la fin, ce manque par le geste de roulis du bras peignant.